Les histoires qu’ils laissent derrière eux
Depuis des milliers d’années, l’histoire du peuple juif se raconte en chapitres. Chaque génération porte l’héritage de la précédente, ajoutant sa propre page à un rouleau ininterrompu. À Sim’hat Torah, le jour le plus joyeux du calendrier juif, nous célébrons la conclusion de la Torah pour aussitôt recommencer un nouveau cycle, depuis le tout début.
En refermant le dernier chapitre, l’histoire ne reprend pas seulement avec nos ancêtres : elle se poursuit avec nous. Aujourd’hui encore, nous marchons dans les pas de ceux qui ont bâti et défendu notre terre.
Les voix que vous allez lire ci-dessous ne sont ni des questions ni des réponses, mais des témoignages de mémoire. Familles et amis y parlent de ceux qui leur sont proches , de leur courage, de leur foi et de leur humanité.
Ces récits ne sont pas de simples souvenirs détachés ; ils sont les prolongements vivants de l’héritage que notre peuple préserve depuis des siècles. Ces vies et ces paroles nous rappellent que l’histoire du peuple juif continue de s’écrire, une voix à la fois.
Ariel Sosnov était bien plus qu’un soldat. Pour Atara, il était son autre moitié, celui qu’elle appelait en premier, dans les moments de joie comme dans ceux de tristesse, celui avec qui elle s’imaginait construire sa vie. Il était chaleureux, charismatique, et portait en lui un cœur profondément tourné vers les autres. « C’est le genre de personne que l’on rencontre une fois, et qui reste à jamais dans notre cœur », raconte Atara.
Dès l’âge de 16 ans, Ariel s’est consacré à aider les autres. Il a fait du bénévolat dans quatre groupes de jeunes pour enfants en situation de handicap — c’est d’ailleurs dans l’un d’eux qu’il a rencontré Atara pour la première fois. Il rêvait de devenir éducateur, et, selon Atara, il vivait déjà ce rêve au quotidien.
Après le massacre du 7 octobre, Ariel a ressenti un besoin pressant de s’engager dans l’armée. Animé par la volonté de faire changer les choses, il s’est engagé un mois plus tard dans le 605ᵉ bataillon du Génie de la brigade blindée Barak.
Après huit mois d’entraînement, Ariel est envoyé au front. Il a passé un mois à Gaza et s’est rendu trois fois au Liban. Avant d’entamer sa formation de commandant, il a de nouveau été appelé pour une mission au Liban. Atara avait peur, mais elle se rassurait : « Encore deux semaines au Liban, et après il en aura fini, il sera en sécurité… Je n’aurai plus à m’inquiéter. »
Atara se souvient du matin où elle l’a perdu.
« Nous étions au téléphone, en train d’avoir une conversation totalement banale », dit-elle. Puis, elle a ressenti un mauvais pressentiment.
« J’ai entendu une sirène au loin, et il m’a dit : “Je reviens vers toi dans une minute.” »
La ligne s’est alors tue. Depuis, Atara garde la présence d’Ariel dans sa mémoire et dans son esprit.
Elle dit qu’il est impossible de le résumer en quelques mots.
Si quelqu’un qui ne l’avait jamais connu lui demandait quel genre de personne il était, elle raconterait l’histoire d’un homme qui voyait ceux que les autres ne remarquaient pas. Elle se souvient d’un soir où il a aidé un couple d’aveugles à rentrer chez eux, de la façon dont il faisait en sorte que chacun dans une pièce se sente vu, et de la gentillesse inépuisable qu’il offrait à sa famille, à ses amis et même aux inconnus.
« Il disait toujours qu’il fallait qu’on soit présents dans notre pays : fiers, heureux, unis et solidaires », se rappelle Atara.
Aujourd’hui encore, elle sent sa présence qui la guide. Dans une lettre qu’il avait laissée, Ariel avait écrit : « Deviens la personne que tu mérites d’être. »
Atara raconte qu’il voulait qu’elle soit heureuse et qu’elle continue à diffuser la lumière qu’il portait en lui. Ce qui lui donne la force d’avancer, malgré l’absence, c’est la promesse qu’elle lui a faite : faire vivre sa lumière. Chaque geste de bonté, chaque preuve d’amour, chaque fois qu’elle trouve la force de continuer, elle le fait pour lui.
« Je crois profondément qu’il faut se souvenir d’Ariel pour sa vie, pas pour sa mort. »
Même s’il n’est plus là physiquement, dit-elle, son esprit, ses valeurs et sa lumière continuent de vivre à travers elle, pour que son histoire et l’impact qu’il a laissé ne soient jamais oubliés.
« Ariel, comme les neuf cents autres soldats tombés pendant cette guerre, est un héros dans la mort — mais ils étaient tous des héros dans la vie. »
Natan Rosenfeld illuminait chaque endroit où il passait. Il avait ce don rare de faire sentir à chacun qu’il comptait vraiment, comme s’il était son ami le plus cher. « Il aimait profondément les gens. Il savait les voir, les écouter, leur donner le sentiment d’être uniques », raconte sa famille.
Depuis l’enfance, Natan possédait une sensibilité hors du commun. Il prenait le temps de s’asseoir avec les autres, d’écouter, de réconforter. Sa bienveillance naturelle et son intelligence du cœur attiraient ceux qui l’entouraient.
Pour ses parents, il était « un garçon exceptionnel, à la fois indépendant, chaleureux et d’une immense compassion ». Il croquait la vie à pleines dents, toujours entouré d’amis, toujours en mouvement.
« C’était un garçon qui vivait intensément, qui ne s’arrêtait jamais », se souviennent-ils. Même quand on lui fermait une porte, il trouvait un moyen d’accomplir ce qu’il voulait, convaincu qu’il fallait profiter de chaque instant. Sa devise : vivre chaque jour comme s’il était le dernier.
La dernière fois que ses parents l’ont vu, il rayonnait. Juste avant sa dernière mission, ils ont eu un appel vidéo depuis Gaza. Natan leur a montré une longue table dressée pour le Shabbat. « Nous l’avons quitté heureux », disent-ils. « Il croyait en ce qu’il faisait, et il le faisait avec tout son cœur. »
Cette joie de vivre le définissait. Sa famille la ressentait, ses amis aussi, et même ceux qui ne faisaient que le croiser s’en souvenaient. Natan avait cette capacité rare de transformer un moment banal en souvenir lumineux.
Pour ses proches, le plus douloureux aujourd’hui est son absence mais aussi cette présence qui demeure partout. « Quand Natan était là, c’était simplement Natan », disent-ils. « Aujourd’hui, il vit dans les pensées et les cœurs de tant de gens. »
Ils sont persuadés que s’il pouvait leur parler, il leur dirait encore ce qu’il disait toujours : Tout ira bien. Soyez heureux. Vivez.
Alors, ils poursuivent ce qu’il a commencé, non pas seulement en se souvenant de lui, mais en propageant la bonté qu’il incarnait. « Nous avons décidé que quelque chose de bon devait naître de cette tragédie », confie son père.
Mariages, cérémonies, événements scolaires, tant de moments sont désormais dédiés à sa mémoire, pour continuer de faire briller la lumière de Natan.
Sa famille considère qu’il est de leur devoir de transformer la douleur en lumière, de poursuivre le bien, parce que c’est ce que Natan aurait voulu.
Même s’il n’est plus là, Natan continue de les accompagner. Il restera à jamais ce jeune homme qui a vécu pleinement, aimé profondément et laissé derrière lui une lumière qui ne s’éteindra jamais.
Omer Balva répandait chaleur et bienveillance partout où il allait. Ses proches se souviennent de sa capacité rare à créer des liens avec chacun. « C’était quelqu’un qui incarnait la gentillesse. Il voulait toujours aider, toujours être là pour les autres. C’était une personne profondément bonne », raconte son ami, le caporal D.
Ses amis se rappellent aussi de sa sensibilité, cette attention qu’il portait aux détails que d’autres ne voyaient pas : la façon dont quelqu’un serrait une étreinte, les signes discrets d’inquiétude sur un visage. « Il comprenait les choses au-delà des mots », se souvient le caporal D.
Omer a grandi aux États-Unis, entouré d’une famille aimante et d’une communauté soudée, qui ont façonné en lui un profond sens de l’humain. Son enfance lui a donné le sentiment d’appartenir à deux mondes : celui où il est né, et celui qu’il choisira plus tard comme le sien.
À dix-huit ans, il décide de s’installer en Israël et s’engage dans la brigade Golani, animé par un amour sincère du pays et par le devoir de le défendre. Après son service, il reprend ses études et obtient son diplôme.
Lorsque la guerre éclate, Omer se trouve en visite chez sa famille et ses amis aux États-Unis. En quelques jours, il prend la décision de rentrer en Israël pour rejoindre la réserve. Le 15 octobre 2023, il est de retour. À peine arrivé dans son unité, il apprend la mort de plusieurs camarades, dont celle d’un commandant auquel il était particulièrement attaché. La perte est immense, mais lorsque, quelques jours plus tard, une mission périlleuse se présente, Omer est le premier à se porter volontaire.
« Ils avaient besoin de trois ou quatre soldats pour une mission à la frontière libanaise. Évidemment, Omer s’est tout de suite proposé. Un missile antichar les a repérés. Il a été tué sur le coup. »
La nouvelle a bouleversé tous ceux qui l’aimaient. « Quand j’ai compris que c’était vrai, ça m’a brisé d’une manière que je n’avais jamais connue », confie le caporal D. « Ce jour-là a sans doute été le plus difficile de ma vie. »
Pourtant, même dans l’absence, l’esprit d’Omer demeure. Sa famille a choisi de résumer son héritage en une phrase simple mais puissante : Be Kind — Sois bienveillant. Plus qu’un slogan, c’est la définition même de sa vie. Ses amis évoquent sa maturité exceptionnelle : « Omer avait toujours une longueur d’avance sur les autres dans sa manière de comprendre les choses. » Il avait le courage d’agir selon ses valeurs, même lorsque le silence semblait plus facile.
Son héritage se perpétue à travers ceux qui ont servi à ses côtés. Aujourd’hui, son ami d’enfance, le caporal D., sert dans la même unité qu’Omer, au sein du même petit groupe de onze soldats — où se trouve aussi le jeune frère d’Omer. Ce lien, il le ressent comme un signe : « Je sais qu’Omer aurait voulu que je veille sur son frère, comme il veillait sur moi. »
Sa famille et ses amis perpétuent désormais sa mémoire dans leurs gestes, leurs choix et leur manière d’aimer. La gentillesse d’Omer continue d’inspirer, son courage de guider. Son histoire ne se résume pas à la façon dont il est parti, mais à la façon dont il a vécu : simplement, avec bonté.
La caporale H., proche amie d’Osher Barzilay, se souvient d’elle comme de « l’amie de tout le monde ». On ne pouvait pas croiser Osher dans un couloir sans qu’elle ne vous adresse un grand sourire et un chaleureux « comment ça va ? » — et elle voulait vraiment entendre la réponse. Elle avait cette capacité rare à faire sentir à chacun qu’il comptait, qu’il était vu et écouté.
Le 7 octobre, lors de l’attaque contre Nahal Oz, Osher servait dans la salle des opérations. Avec ses camarades, elle coordonnait les forces au sol et l’armée de l’air. Elle s’est battue jusqu’à son dernier souffle, veillant avant tout à la sécurité de ceux qui l’entouraient.
Même dans le chaos, elle a laissé d’autres soldats utiliser son téléphone pour envoyer des messages d’adieu ou appeler leurs proches, tout en écrivant elle-même à sa famille et à son petit ami pour leur dire qu’elle les aimait. Face à la terreur, elle est restée altruiste jusqu’au bout.
« Si je pouvais la revoir une dernière fois, je lui dirais merci », confie la caporale H. « Elle a toujours cherché à répandre la lumière, à apporter de la joie, à être une bonne amie et une bonne personne, quelles que soient les circonstances. »
L’un des souvenirs les plus marquants pour H., qui illustre parfaitement la personnalité d’Osher, remonte à leur dernière année de lycée. Toutes deux avaient été chargées d’organiser le spectacle annuel de l’école, une production rassemblant 180 élèves, dont elles devaient gérer chaque détail, des costumes à la mise en scène.
Au début, H. avoue s’être sentie dépassée, persuadée que la tâche était impossible. Mais Osher est restée positive du début à la fin. « La première fois qu’on s’est assises ensemble, Osher m’a dit : “On va y arriver.” » Et dès cet instant, sa confiance et son optimisme ont porté tout le projet. Cette force, cette foi en les autres, continue encore aujourd’hui d’inspirer H.
Le courage d’Osher, sa détermination à protéger les autres même dans les pires moments, sont devenus une source d’inspiration pour ceux qui l’ont connue.
Pour la caporale H., Osher restera toujours une héroïne.