Un témoignage émouvant : la Shoah racontée par une survivante
Lorsque la Seconde Guerre Mondiale a éclaté, Rina Pearl Zakay n’était encore qu’une petite fille âgée de 10 ans, mais la vie telle qu’elle l’avait connue ne serait plus jamais la même. Après la guerre, elle a immigré en Israël d’elle-même afin de se battre pour l’indépendance du pays. Elle y a construit une famille, et 70 ans après la Shoah, elle est l’heureuse grand-mère de trois petits-enfants ayant tous servis dans Tsahal. À l’occasion de la Journée du Souvenir de la Shoah, elle partage son récit, entre héroïsme et quête de survie.
Je m’appelle Rina Pearl Zakay. J’ai 86 ans, et je suis née le 5 août 1929 à Lvov, une ville qui se trouve aujourd’hui en Ukraine mais qui était alors en Pologne à l’époque. Mes parents m’ont eu très jeunes et j’étais leur seule enfant. Mon père, Asher Fisch, était fourreur comme toute sa famille, et possédait les deux plus grandes boutiques de fourrure de Pologne avec son grand frère. Ma mère, Bronia, m’a eu à l’âge de 21 ans et a dédié sa vie à mon éducation. Les femmes de sa situation avaient pour habitude d’embaucher des nourrices, ma mère quant à elle, n’aurait laissé personne d’autre s’occuper de moi. Mes parents étaient des gens éduqués, brillants et doués pour la musique. Mon père jouait du violon tandis que ma mère pratiquait le piano. Nous vivions dans un immeuble de deux étages avec mon oncle paternel, sa femme et leurs enfants, mes cousins donc, à peu près du même âge que moi. Je me souviens de ces bons moments passés à jouer ensemble, ou quand j’appris à faire du vélo avec eux. J’étais constamment entourée de ma famille.
Rina avec ses parents.
J’étais dans une école très réputée en Pologne, le Lycée Hébraïque, qui allait de la maternelle au lycée. Cette école était réservée aux enfants juifs, dès lors la majorité de mes amis étaient juifs. Là bas, j’y ai appris l’hébreu, célébré les fêtes juives et chanté les chansons traditionnelles juives.
Mes parents étaient très sionistes et m’ont inculqué cette conviction. Israël était encore loin de voir le jour, mais nous envisagions de quitter la Pologne un jour et rejoindre le Yishuv en Palestine sous mandat britannique.
Je n’ai pas été confrontée à beaucoup d’antisémitisme, parce que j’étais très protégée, et que je vivais dans un milieu privilégié. Ma famille était très intégrée dans la société polonaise. Mon père faisait beaucoup d’affaires avec l’aristocratie polonaise, et nous vivions confortablement. AIors les rumeurs sur une possible invasion allemande ne nous inquiétaient pas. Nous avions un plan pour quitter la Pologne au cas où, mais nous avions confiance dans l’avenir de notre pays.
LE DÉCLENCHEMENT DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE
Lorsque la guerre a éclaté le 1er septembre 1939, je n’avais que 10 ans. La guerre n’était alors qu’un mot de plus que j’apprenais. Puis les Russes ont conquis Lvov, et c’est ainsi que la vie telle que je l’avais connue s’arrêta. Ils nous ont expulsé de notre maison, et nous ont tout confisqué : les deux magasins de mon père, et toutes nos possessions. Nous avons emménagé dans un appartement plus petit, à proximité de là où habitait la famille de ma mère. Plus tard, les Russes ont arrêté mon grand-père et l’ont envoyé en prison.
Dans mon école juive, parler en hébreu fut interdit. Tout au long des premiers mois de la guerre, je continuais de me rendre à l’école tous les jours, mais quand les Allemands ont pris Lvov aux Russes, mon école a été fermée. Les lois antisémites furent appliquées, et soudainement, l’antisémitisme était partout autour de moi.
Nous avons commencé à passer d’une cache à une autre, et avons vécu ainsi pendant plusieurs mois. Quand les Allemands ont commencé à construire un ghetto à Lvov, mon père a réussi à nous trouver un appartement dans la zone assignée. Mes parents, mon grand-père et moi nous sommes retrouvés à vivre dans ce petit appartement que nous partagions avec d’autres familles. Mon grand-père et moi quittions rarement l’endroit. Mon père travaillait la journée dans une usine produisant du matériel pour la Wehrmacht. Les Allemands recherchaient régulièrement les personnes âgées pour les tuer. Je me souviens qu’une fois mon grand-père et moi étions restés seuls dans l’appartement, quand les Allemands sont entrés. J’ai réussi à le traîner jusqu’à une armoire que j’ai bloqué avec mon corps. Je lui ai sauvé la vie cette fois-là, mais finalement les Allemands l’ont battu à mort dans la rue.
Après cela, mon père m’a fait sortir de l’appartement pour m’emmener chez un couple de Polonais qu’il connaissait. Ils n’avaient pas d’enfant, et ma couverture était que la femme était ma tante. Mon père m’a fabriqué un faux certificat sous le nom d’une jeune fille qui était bien réelle, mais ne vivait plus là, et personne ne connaissait la vérité, à l’exception de mon père, du couple et de moi-même.
Mon père s’est aussi arrangé pour organiser la fuite de ma mère. Les Allemands envoyaient les Polonais au travail forcé et mon père a falsifié un certificat de non-appartenance à la race juive pour ma mère (elle et moi paraissions très polonaises, avec nos cheveux blonds et nos yeux verts). Elle est venue me dire adieu à l’appartement du couple polonais chez qui j’étais cachée. Au moment de partir, elle ne me laissa même pas l’appeler “maman” parce qu’elle était terrifiée. Ce fut la dernière fois que j’ai dit le mot “maman”.
Mon père avait rejoint un petit groupe de juifs dans l’usine dans laquelle il travaillait, et eux aussi prévoyaient de s’enfuir. Je suis allée à l’usine pour dire au revoir, car il ne pouvait pas se déplacer librement sans être arrêté. Ce fut la dernière fois que je le vis. Les dernières phrases qu’il m’a dit sont restées gravées dans mon coeur : “tu es une princesse. Ton diadème ne tombera pas de ta tête, et tu resteras toujours ma princesse. Le matin quand tu te regarderas dans le miroir en te brossant les dents, si tu n’as pas de doute sur la personne que tu es, alors tout ira bien. C’est comme cela que tu dois vivre, avec les valeurs que nous t’avons inculquées à la maison, dont tu t’es nourrie au sein de ta mère”. Et puis lui et son groupe ont fui pour passer en Russie.
L’INTERROGATOIRE ET L’EMPRISONNEMENT
Tout de suite après, j’ai commencé à rentrer chez mes prétendus “oncle et tante”, et alors que je marchais dans la rue, la fille de la femme de ménage, une ukrainienne, m’a reconnue. J’avais toujours un bijou sur moi - une bague, un collier, et je lui ai dit : “je te donnerai tout ce que je possède, mais s’il te plaît laisse moi partir”. Elle a ri, puis elle m’a dit qu’elle allait appeler son frère, qui était dans la milice ukrainienne. Il est venu et m’a emmenée au Q.G. de la milice. On m’a interrogée toute la nuit. J’ai dit à mon interrogateur que les papiers d’identité n’étaient pas les miens. Je prétendais vivre avec ce couple et que la femme était ma tante, mais qu’elle n’était pas juive alors que moi je l’étais.J’ai dit que j’avais trouvé ces papiers à l’intérieur d’une valise que j’avais volé à bord d’un train. Je n’ai pas dénoncé le couple. Le milicien a alors appelé la femme pour l’interroger elle aussi. Il lui demanda si elle était ma tante. Elle a menti et a dit qu’elle ne me connaissait pas. Je ne l’ai pas trahie. À partir de ce moment, j’ai veillé à maintenir mon intégrité morale, même en étant confrontée à l’horreur. Je n’ai jamais perdu mon humanité. Le milicien m’a alors dit : “Tu viens de lui sauver la vie. Elle aurait été exécutée sur place pour avoir caché une juive, mais je ne veux pas de son sang sur mes mains”, puis il se tourna vers la femme et lui dit : “Tu es libre. Cette juive vient de te sauver la vie”.
On m’a alors emmené à la Gestapo. Sur le chemin, je me suis rappelée de la capsule de cyanide que mon père m’avait donné si jamais il allait m’arriver quelque chose d’absolument catastrophique, où si je ne pouvais plus supporter de vivre. Et puis je me suis dit que : “Mes parents sont quelque part là-bas, et ils sont vivants. Ils se sont échappés afin de survivre et ils vont y arriver. Je ne peux pas me suicider et les laisser seuls”.
Au Q.G. de la Gestapo à Lvov, j’ai dû fournir mes informations personnelles - mon nom, les noms de mes parents, mon domicile. Je n’ai pas donné mon vrai nom de famille, parce que je savais qu’il était célèbre à cause du commerce de mon père, alors je me suis identifiée sous un autre nom. On m’a emmenée dans une cave où d’autres juifs étaient détenus, et j’ai été placée dans un groupe d’une centaine de femmes. J’étais la plus jeune. Je dormais sur un sol en béton, et mangeais un bol de soupe par jour. Parce que j’avais dit à la milice ukrainienne que j’avais volé mes papiers d’identité, on m’interrogeait et me battait régulièrement. Au cours d’un de ces interrogatoires, je suis tombée au sol et on m’a frappé au visage, ce qui m’a disloqué la mâchoire. On m’a ensuite traînée jusqu’au sous-sol, et là un miracle s’est produit. Un officier SS, sans doute un docteur, m’a vue au sol. J’étais sûre qu’il allait me tuer, parce que ceux qui tombaient étaient tout de suite exécutés. Mais lui m’a pris le visage entre ses mains et m’a remis la mâchoire en place. Je me souviens aujourd’hui encore de la douleur que j’ai ressenti. Il m’a sauvé la vie, parce que si quelqu’un m’avait vue avec une blessure aussi grave, on m’aurait tout de suite tuée. C’est ainsi que j’ai vécu pendant des mois : en étant assise toute la journée à attendre la mort.
LE CAMP DE CONCENTRATION DE JANOWSKA
Les prisonniers juifs de la Gestapo étaient souvent transportés à un endroit appelé “la Montagne de Sable”. Cet endroit était une fosse comme toutes les fosses dont se servaient les Allemands pour tuer, à une différence près. Au lieu de tuer les Juifs au rebord de la fosse pour qu’ils y tombent après, les Allemands les poussaient pour les enterrer vivants avec de la chaux et du sable, et laisser ainsi les prisonniers mourir d’asphyxie. Nous savions qu’ils nous y amèneraient. Nous sommes montés à bord d’un camion, avec de nombreuses jeunes filles, qui étaient prêtes à tout pour avoir la vie sauve. Nous avions décidé de sauter du camion. Il y avait eu des rumeurs sur le fait que pour atteindre sa destination, le camion devrait à un moment faire un virage très serré à droite. Au dernier moment, j’ai vu que le camion ne tournait pas à droite. À la place, nous avons tourné à gauche et nous sommes arrivés au camp de concentration de Janowska. Celui-ci était divisé en deux : d’un côté le camp de travail, où je savais que ma tante Gusta et son mari étaient internés, et de l’autre côté, le camp où étaient détenus les criminels, et dont personne ne sortait vivant. C’est là que l’on m’a emmenée. Les prisonniers vivaient dans des baraquements en bois, qui contenaient chacun 100 détenus. Tous les jours, nous devions sortir pour l’appel avant d’aller travailler. Mon travail était de construire des canaux qui aidaient à protéger les pommes de terres et autres cultures des fermiers polonais de la région contre la rigueur de l’hiver. L’officier qui faisait l’appel passait entre nous, et si une personne lui déplaisait, il lui tirait une balle dans la tête. C’était là son divertissement. Dans mon baraquement, il y avait une petite fenêtre avec des barreaux, vers laquelle tout le monde se précipitait pour entrer en contact avec les personnes internées dans l’autre partie du camp. J’ai réussi à y accéder et j’ai crié encore et encore le nom de ma tante en disant “dites-lui que je suis là”. Ma tante a eu vent de ma présence, et elle envoya son mari pour me voir. Un jour, il m’a pris au milieu de l’appel en disant qu’on avait besoin de moi pour le travail de l’autre côté du camp. Il m’a emmené dans un champ, et m’a mis dans un fossé, où j’ai dû attendre son retour pendant 24 heures, sans eau, ni nourriture, et avec très peu d’air pour respirer. Il est revenu, et j’ai pu passer un peu de temps avec lui et ma tante. Après une courte période pendant laquelle eux et les autres travailleurs me cachaient, ils ont compris que je représentais un danger pour eux, car les Allemands finiraient par découvrir l’endroit où on me cachait. Ma chance fut qu’à Janowska, personne ne portait de tatouage avec leur matricule, et c’est ainsi que personne n’a jamais découvert où est-ce que je me cachais.
LA FUITE DE JANOWSKA
Le camp de concentration de Janowksa se trouvait au milieu de la ville, et il y avait des maisons qui reliaient le camp au monde extérieur. Ma tante connaissait un homme dans la Résistance polonaise. Il vivait dans l’une de ces maisons, juste en dehors de Janowska. Il a accepté de m’héberger une nuit. Le lendemain, il m’a emmené à la station de train et m’a donné de nouveaux papiers sous le même nom que ceux que m’ont père m’avait fabriqué. Je portais du maquillage et je faisais bien plus âgée que mes 12 ans. Je suis descendue à la station à laquelle il m’avait dit de m’arrêter, et j’ai marché jusqu’à la forêt, où j’ai trouvé la maison d’un bûcheron. Le bûcheron était un Volksdeutsche (un allemand de sang), et sa femme une polonaise. Je leur ai dit que j’étais une jeune polonaise dont les parents avaient fui le pays quand la guerre avait éclaté et que j’étais maintenant orpheline, et ils ont accepté de m’accueillir. J’ai vécu dans leur maison dans les bois, et en me promenant j’ai trouvé une hospice de bonnes soeurs. Les soeurs étaient aussi des infirmières, et j’ai commencé à m’y rendre chaque jour pour les aider dans leur travail. C’est alors qu j’ai compris pour la première fois de ma vie que je voulais devenir infirmière. Je m’habillais comme une bonne soeur, avec une grosse croix en bois autour du cou, et je les accompagnais toute la journée : je priais, j’allais à l’église et à la confession avec elles, et avec le temps j’ai appris la profession d’infirmière. C’est ainsi que j’ai vécu pendant 7 mois. Chez le bûcheron j’apprenais à monter à cheval, à faire le ménage et à baratter le beurre. Je vivais comme une paysanne et une infirmière. Après quelques temps, le bûcheron a commencé à soupçonner que j’étais une sorte d’usurpatrice, et que j’étais liée à la Résistance polonaise, et j’ai compris que je devais à nouveau prendre la fuite. Un matin, j’ai quitté la maison, et au lieu de me rendre à l’hospice, j’ai mis mes vieux vêtements. J’ai marché de la forêt à la station de train, et avec ce qu’il me restait d’argent de poche, j’ai acheté un ticket pour Varsovie.
LA VIE DANS LE GHETTO DE VARSOVIE
Mon autre tante, la soeur de ma mère, vivait dans le Ghetto de Varsovie. Je connaissais son adresse et j’ai marché jusque là-bas. Quand je suis arrivée, j’étais déjà à bout de forces, et au bord de la famine. Je l’ai retrouvée, et elle m’a dit que toute notre famille était morte et que mon grand-père avait été envoyé à Auschwitz. Alors elle m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais : “Nous devons survivre pour témoigner”. Elle n’avait pas encore été informée de la mort de mes parents. Après plusieurs mois à vivre dans le ghetto, je suis entrée en contact avec la Résistance polonaise. La Révolte du Ghetto de Varsovie avait déjà éclatée, et j’ai décidé de me joindre aux combats. J’ai appris à manier une arme, et me suis entraînée à la guerre. C’était une scène apocalyptique : des combats de rues et des maisons en feu, partout. Quand les Allemands ont écrasé la révolte, j’étais en route pour rendre visite aux blessés dans un hôpital de fortune. Au moment où j’avais quitté ma barricade, celle-ci tomba aux mains des Allemands et j’ai ainsi échappé de nouveau à une mort certaine. Puis il y eut l’Insurrection de Varsovie et Allemands et Polonais se battaient partout. Je continuais à rester infirmière dans un hôpital provisoire. L’Insurrection a été à son tour écrasée, puis les Russes sont entrés dans la bataille et Varsovie a été libérée, après quoi, mon hôpital a été relocalisé à Cracovie.
LA VIE DANS LA RUE
A Cracovie, l’hôpital a été déplacé dans un camp de travail, et j’ai continué à y travailler comme infirmière. J’avais 13 ans, mais prétendais en avoir 20. La guerre faisait rage, et tout le monde autour de moi était polonais, et j’avais l’impression que moi aussi je l’étais. Nous sommes restés à Cracovie jusqu’à ce que la ville tombe aux mains des Russes et qu’Allemands et Polonais prennent la fuite. Alors j’ai dû vivre dans la rue.
J’ai dormi sous le porche des maisons, et j’ai mangé ce que je trouvais dans les poubelles, jusqu’à ce que je tombe sur un orphelinat pour enfants et adolescents. J’ai dormi sur le dos, et je n’avais que ce que je portais comme vêtements, mais j’avais un toit, et j’ai tissé des liens forts avec les autres enfants.
LA FUITE DE POLOGNE
Vers la fin de la guerre, vivre dans la rue était absolument terrifiant et désastreux: de toutes parts, les gens se faisaient assassiner, molester ou violer. Je me suis cachée, et je commençais dans le même temps à chercher d’autres Juifs. Étant donné que j’avais passé la majorité du temps à l’hôpital à l’intérieur du camp de travail, je ne connaissais pas bien Cracovie, mais j’ai commencé à chercher et suis tombée sur deux résistants qui ont combattu dans les bois avec les Russes. Ils m’ont donné une adresse et m’ont dit que se trouvait là-bas un rassemblement de Juifs qui projetaient de fuir la Pologne. Je suis allée au rendez-vous, où se trouvaient de nombreuses autres personnes. Tous étaient accompagnés, et moi j’étais seule. Ils voulaient se rendre en Israël. J’ai regardé autour de moi et ai compris que j’étais arrivée au bon endroit. Deux jours plus tard, nous nous retrouvions à la gare avant le lever du soleil et nous faufilions dans un wagon à bestiaux, et c’est ainsi que nous avons fui la Pologne. Une fois quitté le territoire polonais, nous ouvrions finalement les fenêtres. Nous étions en sécurité. Nous traversions la Roumanie puis la Hongrie pour finalement atteindre l’Italie. Je venais d’avoir 15 ans. Là-bas, nous nous retrouvions dans un camp de réfugiés, qui allait peu de temps après être démantelé par les Italiens. Nous étions tous censés retourner dans nos pays d’origine par nos propres moyens. J’étais épuisée, c’était hors de question. “Je ne retournerai pas en Pologne, un point c’est tout.” Je pesais 40 kg, j’étais gravement malade, j’avais des poux… J’étais en très mauvais état. Peu avant que le camp ne soit donc détruit, un homme est venu pour chercher toutes les personnes originaires de Lvov en Pologne. Apparemment, il était envoyé par un homme ayant fait des affaires avec mon père. J’ai été évacuée du camp en ambulance jusqu’à la maison d’une dame qui m’était inconnue et qui a pris soin de moi. Je vivais de nouveau. J’ai passé un an en Italie.
Rina en Italie
L’ALYAH ET LE DÉBUT DE LA VIE ISRAÉLIENNE
En Italie, j’ai réussi à contacter ma tante qui vivait en Israël. Nous échangions des lettres et je commençais alors à planifier comment me rendre là-bas. Je fis la connaissance d’un responsable d’une compagnie britannique de routiers qui était dans la région. C’était un juif polonais qui avait déjà immigré en Israël et qui me suggéra de faire un mariage blanc pour que je puisse rejoindre Israël en tant que femme de soldate retournant à la maison après la guerre. Nous nous sommes donc mariés en 1947. Je suis venue en bateau avec le reste des femmes de soldats. Nous accostions à Ismailia en Egypte et de là avons pris un train jusqu’à Jérusalem, en passant par Rehovot où ma tante vivait. Ayant prévenu ma tante par lettre, nous nous sommes retrouvées à la station de train de Rehovot. Je suis restée chez elle quelques temps puis j’ai rejoint mon oncle à Jérusalem, qui avait lui aussi survécu. C’était tellement étrange de marcher dans les rues et d’être entourée de Juifs. Un mois après mon arrivée en Israël je fêtais mes 16 ans. J’appris l’hébreu mais ne pouvais pas aller à l’école, il fallait que je m’assume financièrement. J’ai vécu dans la maison des Pionniers à Jérusalem et ai travaillé au département pédiatrique pour traiter les enfants prématurés. Après pas mal de temps je décidais de partir à Tel Aviv où j’eus toutes sortes de petits travails.
Enrôlement dans le Palmah, participation à la guerre d’Indépendance et trouver l’amour
En 1947, la guerre d’Indépendance éclata et je voulais participer au combat pour mon pays. Je devais être acceptée dans une organisation clandestine car Tsahal n’existait pas encore. Je me suis enrôlée dans la Haganah. En train, j’ai été envoyée dans le nord du pays, à Dagania. J’ai appris les rudiments militaires, à manier une arme - la plupart des choses que les soldats font pendant les entraînements basiques de Tsahal. Je m’étais blessée pendant l’entraînement et la Haganah décida de se passer de moi. J’étais furieuse. J’avais déchiré l’avis de révocation et tentais d’être enrôlée de nouveau. J’avais entendu parler des recrutements du Palmah et tentais ma chance. On me demanda ma profession et je dis que j’étais infirmière. Je suis devenue aide-soignante combattante et suis partie pour le Néguev, au Sud du pays. Je savais que j’allais survivre - j’avais déjà tout vécu. Nous sommes allés à Nir-Am, où se trouvaient les quartiers généraux du Palmah. Je faisais tout là bas: je cuisinais pour les soldats, nettoyais, montais les tentes et prenais soin des blessés. Je n’avais peur de rien, j’étais tellement heureuse d’être entourée de juifs - j’avais l’impression que chacun d’entre eux était de ma propre famille.
Rina pendant son service au sein du Palmah
La guerre progressait, et je devenais aide-soignante combattante pour les officiers de la brigade Néguev. J’allais sur le terrain avec les combattants et prenais soin d’eux. Le soir, ils revenaient du champ de bataille et venaient à l’hôpital pour s’asseoir avec moi, boire du café et se reposer. Je devins rapidement amie avec eux. Un jour, un soldat vint à moi et me dit: “Tu dois venir avec nous à ce feu de bois que nous faisons”. C’était un chauffeur de Hummer du Neuvième Bataillon. J’acceptais de venir. Une fois assise là-bas, quelqu’un assis à côté de moi attrapa de la main de la nourriture dans mon assiette. J’ai pincé son poignet et l’ai réprimandé : “Quelles sont ces manières? D’où sortez vous?” Il répondit: “De Tel Aviv, où je suis né et ai grandi.” Cet homme qui avait piqué dans mon assiette devint mon mari. Il me séduisit et bien qu’il était plus vieux, nous nous entendions à merveille. Il venait constamment me rendre visite à la clinique. Les soldats du Palmah étaient négligés et mal soignés mais Akiva lui était toujours propre, rasé de près, lavé et sentait bon. Il avait un tel charisme. Après l’avoir rencontré, je ne pouvais plus regarder qui que ce soit d’autre. Je l’aimais tellement, et l’aime toujours autant aujourd’hui.
Pendant la guerre d’Indépendance, la Brigade Néguev fut durement éprouvée par les nombreuses opérations auxquelles elle participa. Pendant l’une d’entre elles, nous étions en route pour Beer-Sheva et avions à passer par un endroit appelé Iraq Suwaydan. L’endroit était sous siège de la police locale et il y avait déjà 8 tentatives de le conquérir. De là nous avons rejoint ce qui plus tard allait devenir le Kibboutz Rouhama. Je savais que le Neuvième Bataillon y était, sur le terrain, et je m’y faufilais pour voir Akiva. Une fois là-bas je n’arrivais pas à le reconnaître, tant il était sale et noirci à cause des combats. Je le pris dans mes bras et m’assura que toutes ses côtes étaient bien intactes. Après cela, il retourna à son unité et je restais au Q.G. du Palmah. Beer-Sheva avait été pris par nos forces après une longue opération et dans le même temps j’attrapais une pneumonie. Akiva me rendit visite, il avait l’air en colère. Je lui demandais pourquoi et il me répondit “ Je suis ainsi car tu es malade et distraite, ton esprit est occupé par d’autres choses, mais nous devons nous marier !” C’est ainsi qu’il me demanda en mariage. Les membres de la Brigade Néguev nous ont construit une petite maison faite en boue sans électricité ni eau, mais nous avions un petit jardin. Après notre mariage, mon mari suivit le cours des officiers et je continuais de travailler comme infirmière au Q.G. de la Brigade Néguev. Je tombais encore malade. Une fois rétablie, je fus relâchée de l’armée. Il continua de servir et fut membre de la réserve toute sa vie. Il prit part à toutes les guerres d’Israël jusqu’à sa mort.
Rina avec Akiva
LA VIE EN ISRAËL ET FONDER UNE FAMILLE
Après nous être mariés, j’ai mis au monde deux filles - Orly et Tali. J’avais 21 ans quand l’aînée de mes enfants, Orly z”l, est née, et c’est à ce moment là que j’ai appris ce qu’il était arrivé à mes parents. J’ai rencontré un homme qui était dans le groupe de mon père qui avait essayé de s’enfuir pour passer en territoire contrôlé par les Russes. Ils ont été capturés par les Allemands et mis en prison. Ils ont creusé un tunnel pour essayer de s’échapper, mais ils ont été poursuivis dans leur fuite, et un homme a hurlé “Jude !”. Mon père s’est retourné, et a été tué d’une balle sur le coup, au milieu d’une rue de Kiev. Il avait 41 ans. Ma mère a été tuée dans un camp de travail forcé quelque part en Allemagne. Elle avait 32 ans. Leurs voix, leurs visages, et leurs valeurs ne m’ont jamais quittée. J’ai élevé mes deux filles avec mon époux, jusqu’à ce qu’il décède du cancer. Mes deux filles ont servi dans l’armée, se sont mariées et ont eu des enfants. J’ai trois petits-enfants, deux qui ont déjà terminé leur service militaire, et une qui le fait en ce moment, et j’ai quatre arrières-petits-enfants.
Rina avec ses filles
Quand je suis arrivée dans ce pays, tout le monde partageait un seul et même rêve : le rêve sioniste. Quand nous étions dans l’armée, il n’y avait ni grades, ni uniformes, ni chaussures, ni nourriture, mais nous avions l’amour du pays et de nos concitoyens. Notre génération a réalisé son rêve, parce que c’est vraiment le pays où coule le lait et le miel. Chaque soldat de Tsahal est un de mes enfants, et à chaque fois que j’apprends qu’un soldat meurt, je suis en deuil. Ils sont mon peuple. La jeunesse ici est incroyable : ils sont notre futur. Ils apprennent, ils travaillent, et ils possèdent des valeurs fortes et profondément humaines.
Rina avec sa petite-fille