Entretien inédit avec un commandant originaire de l'île de la Réunion
David D. Caro, né sur l’île de la Réunion, catholique, est aujourd’hui commandant dans Tsahal, juif et prévoit même de devenir officier. Quel a été son parcours ? Comment se sont enchaîner tous ces importants changements dans sa vie ? Voici l’interview d’un soldat qui a choisi d’endosser de lourdes responsabilités et qui a trouvé la force de toujours donner plus de son temps et de sa motivation pour servir son nouveau pays.
Pour commencer, d’où viens tu ? Où es tu né ?
J'ai grandi sur l'île de la Réunion, à côté de Madagascar. Là-bas, on parle le français car c'est un département d’outre-mer français. La vie à la Réunion était incroyable. La vie était belle et nous étions très heureux. Ma famille était aisée, connue de tous et nous étions tous réunis. Nous sommes huit enfants dans la famille. Je suis le septième. J'ai énormément de bons souvenirs, les terrains étaient gigantesques sur l'île et pour les enfants, c’était très amusant de vivre là bas.
David lorsqu'il était enfant
Quand avez-vous fait votre Alyah ?
Nous avons fait notre Alyah en 2000, j'avais alors 7 ans. Ce fut le résultat d’une longue réflexion. Ma sœur aînée, qui a aujourd'hui 36 ans, avait commencé par faire des recherches spirituelles sur diverses formes du Christianisme. Elle est née en France parce que mon père, qui était aussi peintre, s'était rendu là-bas pour étudier. Il s’était aussi rendu en France dans le but de trouver un sens à sa vie. Il a été dans plusieurs communautés chrétiennes et y a rencontré ma mère. Ils se sont mariés et ont eu 4 enfants en France. Après de longues recherches, ils pensaient immigrer en Israël mais ma mère sentait que ce n'était pas le bon moment. Ils sont donc retournés à la Réunion et là-bas, ont eu 4 autres enfants, dont moi.
Et alors, où ont mené leurs recherches sur le Christianisme en Israël ?
Il existe de nombreuses églises qui ont un lien particulier avec Israël et c’est pour cette raison que mes parents voulaient immigrer depuis longtemps.
"C'était important pour eux de s’intégrer au peuple israélien, dans les moments difficiles comme dans les moments joyeux."
Ils voulaient être partie intégrante de ce peuple et donner une partie d'eux à la communauté. Mes parents avaient construit à l'île de la Réunion une sorte de foyer spirituel réunissant Juifs, Musulmans et Chrétiens et nous y faisions les Shabbat ensemble. Tout le monde dans ma famille est musicien. De ce fait, il y avait toujours beaucoup de musique et de chant.
Souvenirs de l'île de la Réunion
Et toi ? De quel instrument joues tu ?
J'ai l'oreille musicale mais je suis le seul de la famille qui ne joue pas. A la Réunion, mon père était aussi directeur du Conservatoire. Tous mes frères ont apprit à jouer d’un instrument et avaient atteint un niveau professionnel. Pour moi, ce n'est pas encore arrivé mais je sais que c'est dans mes gènes.
En ce qui concerne votre Alyah, comment l’avez vous préparée ?
Mon père préparait notre Alyah depuis des années. Il était venu en Israël afin de se renseigner et avait fait de nombreuses visites et recherches avant de venir s'installer. Durant l'une de ses venues, ma sœur aînée et un de mes frères l’avaient accompagné. Il s’était alors passé quelque chose de tragique...C'était le mois du Ramadan et tandis qu'ils visitaient la vieille ville, on leur a jeté des pierres. Ma sœur a été traumatisée et a décidée qu'elle ne voulait plus ni se convertir ni venir en Israël. Elle est restée jusqu'à aujourd'hui à la Réunion.
Que s’est-il passé pour le reste de la famille ?
Malgré cet événement, mon frère a voulu s'installer rapidement en Israël. Il est venu ici avant nous et est entré dans une Yeshiva (école talmudique). C'est assez étrange de voir qu'un seul voyage a fait éloigner ma sœur d'Israël tandis qu'il a fait venir mon frère beaucoup plus rapidement. Un an après, nous nous sommes installés en Israël, à Beit Shemesh. Aujourd'hui, j'habite à Jérusalem.
Et la conversion ?
Comme j'avais 7 ans, j'ai obtenu ma conversion assez rapidement, à l'âge de 9 ans. Quant à mes parents, ils sont passés par une procédure très longue et on ne me posait que des questions sur notre niveau de religion. Après de nombreux moments difficiles, on a accepté de les convertir mais il faut savoir que la conversion n'est pas quelque chose de simple à obtenir. En effet, ils n'ont pas voulu convertir un de mes frères. Bien que j'étais petit a l'époque, je me rappelle à quel point ça a été dur. Malgré tout, je suis très heureux et fier de ça aujourd'hui.
"Je me considère comme étant une part entière du peuple juif et je ne regrette rien."
Quels ont ensuite été tes projets ?
A 17 ans, j'ai fini le lycée et j'ai dû commencer à réfléchir à ce que je voudrais faire après l’école. Je voulais compléter le processus de conversion. J'ai donc entamé une longue réflexion sur moi-même, sur mon rapport à la religion. Je me suis interrogé sur quel juif je voulais être. Durant cette recherche, j'ai voyagé en Pologne avec l'école religieuse dans laquelle j'étudiais. Et là, entre les anciennes chambres à gaz, j'ai compris que je faisais partie de ce peuple. C'était une expérience positive car malgré toute la tristesse et la difficulté de ce voyage, je me suis rendu compte que je voulais être juif. J'ai eu un peu de temps pour approfondir mes connaissances sur le Judaïsme et est arrivé le temps de mon enrôlement dans l’armée.
David pendant son service militaire
Et tu as donc commencé ton service...
Oui, j'étais obligé de m'engager, je suis le seul de la famille à l’avoir fait et d'ailleurs, j'en avais très envie. Pour moi, c'était logique. On m'a annoncé que je serai combattant dans la brigade Givati. Je ne voulais pas, j'avais très envie d'être combattant mais je voulais être dans le Corps Blindé Mécanisé. Je ne sais pas comment l'expliquer mais j'étais attiré par cette unité. Une des raisons était que le travail avec ces machines m'intéressait beaucoup. Ce n'est pas facile d'être tankiste. Nous travaillons beaucoup et nous nous occupons des machines, cela demande une grande éthique du travail. Une autre des raisons était que plusieurs de mes amis étaient combattants ou même commandants dans le Corps Blindé Mécanisé. Une partie d’entre eux était avec moi à l'école talmudique et ont commencé leur service militaire un peu avant moi. Ils ne m'avaient racontés que des bonnes choses.
Alors, comment s’est déroulé ton service ?
Je suis arrivé dans le groupe de tankistes, 4-5 personnes. Il y a de grandes chances pour que ce soit le groupe le plus varié et composé des personnes les plus hallucinantes de l’armée. Les soldats qui servaient avec moi étaient tous très différents et avec lesquels je devais m’arranger et trouver des valeurs communes. Ce côté là m’a énormément attiré. Si tu ne fais pas une tâche particulière dans le tank, ton ami devra le faire. Il faut qu’il y ait une alchimie entre vous pour réussir à accomplir les missions.
Tu as pensé à devenir commandant ?
C'était évident pour moi et je savais depuis le début que je voulais sortir en formation pour être commandant de tank. D'après moi, être commandant de tank demande plus de travail qu'un autre commandant. Aujourd'hui, je suis commandant d'un tank et d'une équipe. On me l'a proposé rapidement et j'ai tout de suite accepté. Maintenant que j'ai fini la formation, j'ai décidé de devenir formateur des futurs commandants afin de transmettre ce que j'ai appris. Je prévois d'enseigner deux cycles puis de sortir en formation pour être officier.
David sert dans le Corps Blindé Mécanisé de Tsahal
Il est évident que tu t’investis beaucoup dans ton service...
"Je me suis engagé dans Tsahal sans savoir vraiment dans quoi je m'engageais, je ne savais pas que je deviendrai officier."
Je me suis tout simplement engagé et j'ai aimé le système. D'un point de vue de la sécurité bien sûr, mais aussi d'un point de vue pédagogique. Quand nous commençons le service militaire, nous avons tous une chance de devenir quelqu’un de nouveau et de tourner une nouvelle page, entouré d'amis. C'est une possibilité qui ne peut être que positive et apporter de bonnes choses.
Qu’est ce qui t’as donné la force et la motivation de toujours donner plus ?
Tout s'est bien passé pour moi jusque là, alors pourquoi ne pas continuer ? Si mes supérieurs ont jugé que je convenais au système et que j'avais le profil pour devenir officier, pourquoi ne pas donner encore plus ? Je suis venu pour travailler et donner de moi.
Donc tu es heureux ici ? En Israël ? A l’armée ?
Ma famille me soutient et est très fière de moi. Je sens que je suis sioniste. Si je ne l'étais pas, j'aurais pu facilement éviter l'armée, j'aurais pu être à Madagascar maintenant et profiter de la vie et même ne pas être juif. Mais c'est chez moi ici, c'est ma maison et je veux aider tant que possible, même si cela implique de se lever tôt tous les matins et de travailler dur. Je voyagerai sûrement à la Réunion après l'armée ou avec ma future femme (que je n'ai pas encore rencontré).
"Un jour ou l'autre, je retournerai là bas pour des vacances mais bien évidemment, je reviendrai vite en Israël. Ma vie est ici."